mardi 4 juin 2013

ORA-ÏTO, MAGICIEN DU DESIGN


 
Ora-Ïto. Ce nom à la consonance énigmatique évoque à lui seul tout un univers, celui d’un véritable génie créatif ayant révolutionné le design à travers ses créations intemporelles. Six lettres formant une signature mais également un prestigieux label que les plus grandes marques de la planète s’arrachent, de Guerlain à Christofle, en passant par Roche Bobois, Kenzo, Adidas, ou Toyota. Rien ne semble pouvoir arrêter Ora-Ïto dans son extraordinaire ascension. Rencontre avec un créateur passionné qui construit son quotidien en faisant de ses rêves une réalité.           
                          
            
                                               

 

Ora-Ïto, votre réputation vous précède et vous êtes connu dans le monde entier. Comment définissez-vous votre identité artistique?

Bien que dans ce métier nous ayons tous un côté «artiste», je suis avant tout un designer. Ce que je crée est soumis à des contraintes industrielles, commerciales, et est voué à être vendu. L’ensemble de ces contraintes m’amène à devoir trouver des réponses à différentes problématiques. Plus les contraintes sont nombreuses, plus je suis poussé à être créatif.      

Vos débuts ont été marqués par une rencontre avec le créateur Roger Vivier, figure majeure de la mode du XXème siècle, avec qui vous avez collaboré peu avant sa disparition. Que vous a inspiré Monsieur Vivier?

Son travail reflétait une grande modernité. A mes yeux on distingue, à différente échelle, certaines notions d’architecture dans une chaussure. Retrouver dans un petit objet comme le soulier des paramètres relevant de ce qui est architectural mais aussi structural (par rapport à la tenue du pied) m’a intéressé. Lors de mes débuts à l’âge de dix-huit ans, j’ai eu la chance de rencontrer Roger Vivier et de lui proposer spontanément de travailler autour de ce qu’il avait élaboré. A cette occasion, il m’a octroyé la possibilité de projeter ma propre vision autour de ses créations. C’est ainsi qu’est née une paire d’escarpins qui fut ma première réalisation en 3D et a marqué le démarrage de ma carrière.        
 
Quel regard portez-vous sur la mode en tant que designer?

J’entretiens un rapport relativement lointain avec la mode, même s’il m’arrive de collaborer avec de célèbres griffes. Dans le cadre de l’industrie textile proprement dite, le fait de proposer un renouveau régulier des tendances et des collections tous les six mois ne m’intéresse pas réellement. Selon moi, l’un des dangers menaçant actuellement le design est qu’il commence à ressembler à la mode dans le sens où apparaissent des cycles de renouvellement de plus en plus rapprochés. Lorsqu’il s’agit de textile cela n’a pas de conséquences majeures, mais à partir du moment où la matière est concernée, un tel cas de figure peut devenir problématique, notamment en termes de pollution. J’aime rester intemporel dans mes créations en mettant au point des objets qui s’inscriront dans le long terme: quinze, vingt ans ou plus encore. 
 
De par leur singularité et leur caractère novateur, vos créations ont bouleversé l’univers du design. Cependant, contrairement à certains de vos confrères, il vous est déjà arrivé de rendre votre travail accessible au grand public. Comment naviguez-vous avec autant de souplesse entre l’univers du luxe et, occasionnellement, une sphère commerciale accessible à tous?  

Il y a eu au cours de ma carrière des «aventures» s’articulant autour de produits pas chers à la portée du plus grand nombre, mais la plupart de mes créations appartiennent au domaine du luxe; je songe notamment à mes collaborations avec des marques prestigieuses comme Guerlain, Christofle, Pucci… J’estime qu’il est important de bien choisir les entreprises et les personnes avec lesquelles on s’associe autour d’un projet.        

Vous évoquez régulièrement la notion de «simplexité» lorsque vous vous référez à vos réalisations. Que définit ce concept?

La simplexité consiste à rendre simple ce qui est complexe. J’essaie toujours de simplifier au maximum ce que je fais, mon objectif est de donner une impression d’apparente simplicité derrière laquelle il y a en fait énormément de travail et souvent beaucoup de complexité. Ce qui m’intéresse dans chacun des objets que je crée est la notion d’absolu, j’aspire à atteindre une forme de perfection dans la mesure du possible.

Vos talents sont sollicités en permanence. Pouvez-vous évoquer les derniers projets auxquels vous vous êtes consacré?

Ils sont nombreux! Pour en citer quelques-uns: la boutique Lancaster, une collection de meubles pour Roche Bobois, l’aire de la Chaponne, une collection pour Scavolini (le leader européen de la cuisine), l’aménagement de la galerie commerçante des Trois Quartiers Place de la Madeleine à Paris…. Sans oublier l’Hôtel O, ma première expérience en tant que designer d’un établissement hôtelier. L’Hôtel O compte en son sein 30 chambres; il a fallu tenir compte de la taille relativement petite de chacune d’entre elles. Cette contrainte a suscité mon intérêt car j’ai dû travailler sur une architecture intégrant différents éléments dans un espace réduit. L’équilibre repose aussi sur les teintes déclinant harmonieusement le cercle chromatique; par ailleurs, un coloris différent a été choisi pour la décoration de chaque chambre. Les matières jouent avec les courbes fluides ainsi que les reliefs mis en valeur par un éclairage propice à la détente. La technologie est quant à elle omniprésente dans l’Hôtel O, favorisant la communication et le divertissement. 

J’aimerais également mentionner l’ouverture de mon centre d’art, le MAMO, qui aura lieu le 8 juin 2013 à Marseille. Il s’agit d’un projet personnel auquel je tiens particulièrement.     

Au début de votre carrière, lorsque vous avez présenté sur internet des créations entièrement virtuelles portant la griffe de grandes marques internationales, la 3D vous a permis de matérialiser vos idées et de les présenter au monde entier qui a immédiatement été captivé par votre travail. Y a-t-il des réalisations dans lesquelles vous aimeriez vous lancer aujourd’hui sans toutefois y parvenir, faute de moyens technologiques suffisamment pointus?

Je suis toujours en quête de nouvelles propriétés au niveau des matières, de la technologie, de l’ingénierie... J’emploie les meilleurs matériaux existant sur le marché, il m’arrive même d’en détourner d’une industrie à une autre… En ce qui concerne les nouveaux outils, je vais utiliser la stéréolithographie, imprimante 3D permettant de concevoir un prototype à partir d’un fichier informatique. Travailler avec différentes industries appartenant à des domaines distincts me permet d’être à l’affût de toutes les nouveautés aussi bien dans l’aéronautique, l’automobile, l’électronique, le bâtiment, le mobilier…. J’aimerais concevoir une voiture Ora-Ïto, qui serait bien entendu un véhicule électrique. C’est un projet sur lequel j’oeuvre pour mon propre compte, indépendamment de ce que j’ai déjà pu faire pour Renault, Peugeot, Citroën ou Toyota.

En ce début de XXIème siècle, quel regard portez-vous sur le monde par rapport à votre activité de designer? Selon vous, notre époque qui repousse toujours plus loin les limites scientifiques et développe sans cesse de nouvelles technologies correspond-elle à une forme d’âge d’or?

Nous vivons une époque où tout va extrêmement vite. Les technologies évoluent en permanence et à un rythme incroyable, il suffit de regarder seulement dix ans en arrière pour s’en rendre compte. Aujourd’hui, on ne construit plus à 90° mais à 360°; l’architecture témoigne de ces mutations: on retrouve des formes organiques totalement fluides qui donnent l’impression de se trouver à l’intérieur d’un corps, alors qu’auparavant nous vivions dans ce qui pourrait être assimilé à des boîtes. Le monde est en train de changer très rapidement, il faut toutefois rester vigilants face aux dérives pouvant découler de toutes ces années de développement. Je pense qu’il sera nécessaire de revenir à une certaine simplicité, d’aller d’avantage à l’essentiel. A mon sens, le design doit demeurer une forme d’art destinée à s’inscrire dans le long terme, et non se trouver emprisonné dans des tendances qui, par définition, ne peuvent être que fugaces.  

Si vous aviez la possibilité de réaliser un projet complètement fou, sans aucune contrainte financière, technologique ou de limitation dans l’espace, lequel serait-il?

Je rêve déjà beaucoup au quotidien et tente de donner vie aux fruits de mon imagination, ainsi j’espère avoir la possibilité de réaliser les cinquante prochains rêves que j’ai en stock; quoi qu’il en soit, même après cela, je sais que j’en aurai de nouveaux qui leur succèderont. Un rêve ultime? Pourquoi pas retrouver mes créations dans l’espace, elles s’y intègreraient parfaitement. Cela représenterait un aboutissement par rapport à mon métier, à l’image que je peux véhiculer à travers ma philosophie et mon univers, à l’époque dans laquelle j’évolue…. C’est quelque chose que je serai amené à mettre en pratique tôt ou tard. Je commence déjà à me consacrer à la création de bateaux, d’avions…. Des vols dans l’espace sont en train de se mettre en place et je ne serais pas surpris si dans le futur on venait me voir pour me demander de créer l’intérieur d’une nacelle, par exemple, ou un hôtel sur la Lune voire plus loin…! Ce type de projet m’intéresserait beaucoup et je pense qu’il verra le jour de mon vivant.           
 

Comment définiriez-vous le luxe?

Mon plus grand luxe, par rapport à mon métier, serait de jouir d’une liberté totale tant dans le choix de mes projets que dans ma façon de les traiter. Dans l’absolu, le luxe représente pour moi une histoire, un savoir-faire et une légitimité. Il s’inscrit de génération en génération et affirme son image par le biais d’une force grandissante. Pour perdurer, le luxe doit savoir évoluer parallèlement à son temps et maîtriser avec la même aisance les méthodes de travail ancestrales que les techniques ultra-modernes, et cela sans jamais avoir peur de son époque. Il est nécessaire de jouer un rôle de leader dans l’innovation, même si cette position nécessite une prise de risques. Je pense qu’il faut être capable de perpétuer son histoire, et de se construire en permanence pour être toujours à la pointe du progrès afin d’asseoir sa légitimité dans le secteur d’activité où l’on évolue. Aux grandes marques «polyvalentes» qui s’éparpillent dans différents domaines avec pour seule intention de démocratiser le luxe, je préfère celles qui demeurent concentrées sur une seule activité en employant des modes de fabrication qui leur sont propres. Pour moi, c’est ce qui définit le luxe. Le savoir-faire doit être peaufiné en permanence même si au final l’artisanat est destiné à rejoindre la technologie, ce qui n’est absolument pas antinomique. C’est de cette symbiose que peuvent naître des créations remarquables.