mardi 4 juin 2013

ORA-ÏTO, MAGICIEN DU DESIGN


 
Ora-Ïto. Ce nom à la consonance énigmatique évoque à lui seul tout un univers, celui d’un véritable génie créatif ayant révolutionné le design à travers ses créations intemporelles. Six lettres formant une signature mais également un prestigieux label que les plus grandes marques de la planète s’arrachent, de Guerlain à Christofle, en passant par Roche Bobois, Kenzo, Adidas, ou Toyota. Rien ne semble pouvoir arrêter Ora-Ïto dans son extraordinaire ascension. Rencontre avec un créateur passionné qui construit son quotidien en faisant de ses rêves une réalité.           
                          
            
                                               

 

Ora-Ïto, votre réputation vous précède et vous êtes connu dans le monde entier. Comment définissez-vous votre identité artistique?

Bien que dans ce métier nous ayons tous un côté «artiste», je suis avant tout un designer. Ce que je crée est soumis à des contraintes industrielles, commerciales, et est voué à être vendu. L’ensemble de ces contraintes m’amène à devoir trouver des réponses à différentes problématiques. Plus les contraintes sont nombreuses, plus je suis poussé à être créatif.      

Vos débuts ont été marqués par une rencontre avec le créateur Roger Vivier, figure majeure de la mode du XXème siècle, avec qui vous avez collaboré peu avant sa disparition. Que vous a inspiré Monsieur Vivier?

Son travail reflétait une grande modernité. A mes yeux on distingue, à différente échelle, certaines notions d’architecture dans une chaussure. Retrouver dans un petit objet comme le soulier des paramètres relevant de ce qui est architectural mais aussi structural (par rapport à la tenue du pied) m’a intéressé. Lors de mes débuts à l’âge de dix-huit ans, j’ai eu la chance de rencontrer Roger Vivier et de lui proposer spontanément de travailler autour de ce qu’il avait élaboré. A cette occasion, il m’a octroyé la possibilité de projeter ma propre vision autour de ses créations. C’est ainsi qu’est née une paire d’escarpins qui fut ma première réalisation en 3D et a marqué le démarrage de ma carrière.        
 
Quel regard portez-vous sur la mode en tant que designer?

J’entretiens un rapport relativement lointain avec la mode, même s’il m’arrive de collaborer avec de célèbres griffes. Dans le cadre de l’industrie textile proprement dite, le fait de proposer un renouveau régulier des tendances et des collections tous les six mois ne m’intéresse pas réellement. Selon moi, l’un des dangers menaçant actuellement le design est qu’il commence à ressembler à la mode dans le sens où apparaissent des cycles de renouvellement de plus en plus rapprochés. Lorsqu’il s’agit de textile cela n’a pas de conséquences majeures, mais à partir du moment où la matière est concernée, un tel cas de figure peut devenir problématique, notamment en termes de pollution. J’aime rester intemporel dans mes créations en mettant au point des objets qui s’inscriront dans le long terme: quinze, vingt ans ou plus encore. 
 
De par leur singularité et leur caractère novateur, vos créations ont bouleversé l’univers du design. Cependant, contrairement à certains de vos confrères, il vous est déjà arrivé de rendre votre travail accessible au grand public. Comment naviguez-vous avec autant de souplesse entre l’univers du luxe et, occasionnellement, une sphère commerciale accessible à tous?  

Il y a eu au cours de ma carrière des «aventures» s’articulant autour de produits pas chers à la portée du plus grand nombre, mais la plupart de mes créations appartiennent au domaine du luxe; je songe notamment à mes collaborations avec des marques prestigieuses comme Guerlain, Christofle, Pucci… J’estime qu’il est important de bien choisir les entreprises et les personnes avec lesquelles on s’associe autour d’un projet.        

Vous évoquez régulièrement la notion de «simplexité» lorsque vous vous référez à vos réalisations. Que définit ce concept?

La simplexité consiste à rendre simple ce qui est complexe. J’essaie toujours de simplifier au maximum ce que je fais, mon objectif est de donner une impression d’apparente simplicité derrière laquelle il y a en fait énormément de travail et souvent beaucoup de complexité. Ce qui m’intéresse dans chacun des objets que je crée est la notion d’absolu, j’aspire à atteindre une forme de perfection dans la mesure du possible.

Vos talents sont sollicités en permanence. Pouvez-vous évoquer les derniers projets auxquels vous vous êtes consacré?

Ils sont nombreux! Pour en citer quelques-uns: la boutique Lancaster, une collection de meubles pour Roche Bobois, l’aire de la Chaponne, une collection pour Scavolini (le leader européen de la cuisine), l’aménagement de la galerie commerçante des Trois Quartiers Place de la Madeleine à Paris…. Sans oublier l’Hôtel O, ma première expérience en tant que designer d’un établissement hôtelier. L’Hôtel O compte en son sein 30 chambres; il a fallu tenir compte de la taille relativement petite de chacune d’entre elles. Cette contrainte a suscité mon intérêt car j’ai dû travailler sur une architecture intégrant différents éléments dans un espace réduit. L’équilibre repose aussi sur les teintes déclinant harmonieusement le cercle chromatique; par ailleurs, un coloris différent a été choisi pour la décoration de chaque chambre. Les matières jouent avec les courbes fluides ainsi que les reliefs mis en valeur par un éclairage propice à la détente. La technologie est quant à elle omniprésente dans l’Hôtel O, favorisant la communication et le divertissement. 

J’aimerais également mentionner l’ouverture de mon centre d’art, le MAMO, qui aura lieu le 8 juin 2013 à Marseille. Il s’agit d’un projet personnel auquel je tiens particulièrement.     

Au début de votre carrière, lorsque vous avez présenté sur internet des créations entièrement virtuelles portant la griffe de grandes marques internationales, la 3D vous a permis de matérialiser vos idées et de les présenter au monde entier qui a immédiatement été captivé par votre travail. Y a-t-il des réalisations dans lesquelles vous aimeriez vous lancer aujourd’hui sans toutefois y parvenir, faute de moyens technologiques suffisamment pointus?

Je suis toujours en quête de nouvelles propriétés au niveau des matières, de la technologie, de l’ingénierie... J’emploie les meilleurs matériaux existant sur le marché, il m’arrive même d’en détourner d’une industrie à une autre… En ce qui concerne les nouveaux outils, je vais utiliser la stéréolithographie, imprimante 3D permettant de concevoir un prototype à partir d’un fichier informatique. Travailler avec différentes industries appartenant à des domaines distincts me permet d’être à l’affût de toutes les nouveautés aussi bien dans l’aéronautique, l’automobile, l’électronique, le bâtiment, le mobilier…. J’aimerais concevoir une voiture Ora-Ïto, qui serait bien entendu un véhicule électrique. C’est un projet sur lequel j’oeuvre pour mon propre compte, indépendamment de ce que j’ai déjà pu faire pour Renault, Peugeot, Citroën ou Toyota.

En ce début de XXIème siècle, quel regard portez-vous sur le monde par rapport à votre activité de designer? Selon vous, notre époque qui repousse toujours plus loin les limites scientifiques et développe sans cesse de nouvelles technologies correspond-elle à une forme d’âge d’or?

Nous vivons une époque où tout va extrêmement vite. Les technologies évoluent en permanence et à un rythme incroyable, il suffit de regarder seulement dix ans en arrière pour s’en rendre compte. Aujourd’hui, on ne construit plus à 90° mais à 360°; l’architecture témoigne de ces mutations: on retrouve des formes organiques totalement fluides qui donnent l’impression de se trouver à l’intérieur d’un corps, alors qu’auparavant nous vivions dans ce qui pourrait être assimilé à des boîtes. Le monde est en train de changer très rapidement, il faut toutefois rester vigilants face aux dérives pouvant découler de toutes ces années de développement. Je pense qu’il sera nécessaire de revenir à une certaine simplicité, d’aller d’avantage à l’essentiel. A mon sens, le design doit demeurer une forme d’art destinée à s’inscrire dans le long terme, et non se trouver emprisonné dans des tendances qui, par définition, ne peuvent être que fugaces.  

Si vous aviez la possibilité de réaliser un projet complètement fou, sans aucune contrainte financière, technologique ou de limitation dans l’espace, lequel serait-il?

Je rêve déjà beaucoup au quotidien et tente de donner vie aux fruits de mon imagination, ainsi j’espère avoir la possibilité de réaliser les cinquante prochains rêves que j’ai en stock; quoi qu’il en soit, même après cela, je sais que j’en aurai de nouveaux qui leur succèderont. Un rêve ultime? Pourquoi pas retrouver mes créations dans l’espace, elles s’y intègreraient parfaitement. Cela représenterait un aboutissement par rapport à mon métier, à l’image que je peux véhiculer à travers ma philosophie et mon univers, à l’époque dans laquelle j’évolue…. C’est quelque chose que je serai amené à mettre en pratique tôt ou tard. Je commence déjà à me consacrer à la création de bateaux, d’avions…. Des vols dans l’espace sont en train de se mettre en place et je ne serais pas surpris si dans le futur on venait me voir pour me demander de créer l’intérieur d’une nacelle, par exemple, ou un hôtel sur la Lune voire plus loin…! Ce type de projet m’intéresserait beaucoup et je pense qu’il verra le jour de mon vivant.           
 

Comment définiriez-vous le luxe?

Mon plus grand luxe, par rapport à mon métier, serait de jouir d’une liberté totale tant dans le choix de mes projets que dans ma façon de les traiter. Dans l’absolu, le luxe représente pour moi une histoire, un savoir-faire et une légitimité. Il s’inscrit de génération en génération et affirme son image par le biais d’une force grandissante. Pour perdurer, le luxe doit savoir évoluer parallèlement à son temps et maîtriser avec la même aisance les méthodes de travail ancestrales que les techniques ultra-modernes, et cela sans jamais avoir peur de son époque. Il est nécessaire de jouer un rôle de leader dans l’innovation, même si cette position nécessite une prise de risques. Je pense qu’il faut être capable de perpétuer son histoire, et de se construire en permanence pour être toujours à la pointe du progrès afin d’asseoir sa légitimité dans le secteur d’activité où l’on évolue. Aux grandes marques «polyvalentes» qui s’éparpillent dans différents domaines avec pour seule intention de démocratiser le luxe, je préfère celles qui demeurent concentrées sur une seule activité en employant des modes de fabrication qui leur sont propres. Pour moi, c’est ce qui définit le luxe. Le savoir-faire doit être peaufiné en permanence même si au final l’artisanat est destiné à rejoindre la technologie, ce qui n’est absolument pas antinomique. C’est de cette symbiose que peuvent naître des créations remarquables.          

                          


 

dimanche 15 juillet 2012

SERGE LUTENS, L'ALCHIMISTE DES SENS




Magicien des senteurs qu’il fait fusionner avec la maestria des plus grands compositeurs, Serge Lutens est bien plus qu’un parfumeur de renom. Artiste aux multiples talents, il possède ce don remarquable permettant de donner une âme à ses créations qui ne peuvent être comparées à nulles autres tant elles sont singulières. Rencontre avec un être rare qui m'a ouvert les portes de son univers envoûtant situé au cœur du Palais Royal, à Paris.    







Monsieur Lutens, vous êtes connu du public pour être à la fois un grand créateur de parfums et de maquillage; vous avez également réalisé des films dont certains ont été récompensés par les prix les plus prestigieux. Comment vous définiriez-vous?

Je me définirais comme un être déterminé par le féminin. En ce qui concerne les choix qui m’ont mené là où j’en suis, ils ne sont pas vraiment conscients; on ne connait pas ses choix, on les reconnait, car ils se font savoir dès l’adolescence, ce qui est toujours un choc. C’est à ce moment de la vie que l’on découvre le résultat de ce choix que l’on ignore encore. Tout au long de notre existence, nous nous trouverons face à ce qui est en fait une conséquence de nous-mêmes.

Quel est le fil d’Ariane reliant les différents univers dans lesquels vous naviguez avec autant d'aisance depuis vos débuts?

Le féminin, choix originel. C’est ce qui permet à l’homme de créer. Chez la femme, c’est le contraire. Mais il est néfaste de s’enfermer dans des définitions, les étiquettes pétrifient l’individu.  

Le milieu de la cosmétologie et de la parfumerie est dominé par des ingénieurs et des chercheurs. En tant qu’artiste évoluant au centre d’une sphère particulièrement cartésienne, comment votre créativité et votre sensibilité parviennent-elles à donner une dimension quasi poétique à des produits comme le parfum et le maquillage? 

Nous sommes tous la «matière» de quelque chose et constituons le sujet de notre matière. Il est important de prendre en considération la définition, le choix initial, mais nous sommes déterminés par les domaines que nous abordons et qui vont nous modeler à partir du moment où nous entreprenons une action. Quelqu’un qui aime ce que vous faîtes se retrouve dans ce que vous créez. Quand je crée un parfum, je me trouve face à la mise en place des essences, mais ces essences ne vont plus m’appartenir. Un parfum digne de ce nom se compose de différentes essences de qualité. Ces dernières se déplacent et vous conduisent vers des chemins inconnus. Dans toute forme de création, il y a une part masculine et une part féminine, une part active et une part passive. C’est ce qui en constitue le fondement.

Vous serait-il possible de décrire le processus vous permettant de traduire une émotion sous forme de fragrance?

Le processus est le même en ce qui concerne les mots, les couleurs…. Il y a une notion qui vous échappe, qui est plus forte que vous. Nous sommes soumis à la matière, à la technique et à différents paramètres qui nous prennent sous leur emprise. Sans pour autant quitter le sujet sur lequel nous nous penchons, à un moment donné nous faisons preuve d’un relatif abandon qui permettra à la matière (peinture, écriture, essences…..) de s’exprimer pleinement. Lorsque les gens choisissent un parfum, ils choisissent une partie d’eux-mêmes faisant qu’ils se reconnaissent en lui. Il y a donc une certaine forme de ressemblance entre ce qu’ils sont et ce que je suis, du moins ce que je pense être au moment où je crée; ce qui demeure momentané car je passe très vite à autre chose.

Si vous deviez choisir une senteur afin d’exprimer l’amour, quelle serait-elle?

Je répondrais le non-choix. La passion vous conduit et fait qu’il devient très difficile de conserver son « quant à soi». On se perd et on se retrouve. Des gens de tous âges et de toutes sensibilités se retrouvent autour du parfum et de ce discours, qui à mes yeux, peut être qualifié d’originel car il va au-delà du temps. Dans mes créations je parle de moi, d’eux, et ils se retrouvent à travers l’histoire que je raconte, ce que j’exprime… On n’a jamais autant parlé de sensualité alors que nous vivons dans une société glaciale qui se force à afficher en permanence un bonheur feint par rapport auquel on ne peut que ressentir une terrible frustration.    

Au cours des dernières décennies, les produits cosmétiques ont considérablement évolué. Selon vous, que réservera l'avenir en matière de maquillage? Peut-on s'attendre à des innovations révolutionnaires?

Ce qui m’intéresse avant tout dans le maquillage est la manifestation d’une expression, d’une émotion. Au lieu de penser à l’avenir, je préfère me concentrer sur l’instant présent. Sur un plan technique, toutes les évolutions imaginables sont possibles du fait des incroyables avancées scientifiques auxquelles nous assistons.    

L’emploi des fleurs naturelles en parfumerie engendre des coûts de production particulièrement élevés; de ce fait, les molécules de synthèse sont employées de plus en plus fréquemment. Ces dernières permettent-elles de créer les répliques exactes des essences florales issues de la nature?

Il existe plusieurs types de synthèses. On peut évoquer la synthèse totalement artificielle qui recompose une odeur uniquement à partir d’éléments chimiques. Il y a également des synthèses qui remontent certaines pistes moléculaires originelles et parviennent à donner, au final, des résultats relativement naturels que la science permet d’analyser. Un parfum de synthèse peut être beaucoup plus onéreux qu’un parfum naturel, celui-ci n’étant pas forcément synonyme de qualité. On trouve aujourd’hui des éléments de synthèse absolument remarquables. Il est techniquement possible de réaliser un parfum entièrement synthétique. Cependant, il exaltera exactement les mêmes effluves d’une peau à une autre, alors que ce qui fait la qualité d’un parfum est justement son caractère unique dans le sens où il dégagera une impression différente sur chaque épiderme. C’est le PH cutané qui fait l’originalité d’un parfum une fois porté. La peau est vivante, elle évolue en fonction de nous, de nos émotions fondamentales. Si aucun élément naturel n’entre en jeu dans un parfum, il perdra toute sa personnalisation, ce qui, selon moi, est la pire des choses car le parfum en question n’aura plus de sens. Il y a du mystère dans le caractère organique des parfums. Même la science ne parvient pas à dévoiler ce secret; les appareils d’analyse et de mesure les plus perfectionnés sont souvent sans réponse face aux matières organiques alors qu’ils identifient systématiquement les molécules chimiques.            

Y a-t-il des projets vous tenant à cœur et que vous n’avez pas encore pu concrétiser à ce jour? Vers quelles perspectives d’avenir aimeriez-vous vous orienter?

Tout au long de mon existence, j’ai l’impression de n’avoir vécu que pour me mettre en mots. J’aimerais me consacrer à l’écriture, c’est ce qui pourrait apporter à ma vie le «quelque chose» m’octroyant la possibilité de «passer le pas» au sens propre comme au sens figuré: le pas grâce auquel on avance, et le pas au sens de la négation. Je souhaite être en mesure d’aller au-delà de ce «pas» synonyme de refus que j’ai toujours placé devant moi.







jeudi 8 mars 2012

LE PRINTEMPS DU DESIR



Après un hiver qui a semblé interminable à beaucoup d’entre nous, le printemps est enfin de retour. Cette période marque l’éveil de la nature mais également celui de nos sens, souvent malmenés par un froid trop rigoureux. Les journées plus longues, le climat chaud et ensoleillé, sont propices à l’éclosion du désir. Elan empli d’ardeur pour les uns, exaltation romantique pour les autres, le désir revêt de multiples formes. Omniprésent dans les médias, le monde culturel ou artistique, il est absolument incontournable. Vecteur de rentabilité économique, on l’instrumentalise et le surexploite pour nous vendre un parfum, une boisson ou un véhicule. Tous les prétextes sont bons pour solliciter l’essence même de cette flamme dont l’énergie nous anime, nous fait déplacer des montagnes ou tout simplement perdre la tête. Que nous l’acceptions ou non, le désir inonde notre quotidien. A tel point qu’il se banalise et finit par s’éteindre, sacrifié sur l’autel du mercantilisme et de la rentabilité. Chronique d’une mort annoncée?

S’il fut un temps où la lame tranchante du désir s’affûtait à revers de patience, cette époque semble bel et bien révolue, étouffée par la société au sein de laquelle nous vivons; une sphère dominée par l’hyperconsumérisme de masse où tout va très vite, à l’instar d’une course effrénée dont chacun voudrait franchir la ligne d’arrivée avant les autres participants, sans même savoir ce qui l’attend au final. Il est normal que le monde change au fil du temps, et que cette mouvance entraine des bouleversements socio-culturels. Ainsi, les rapports hommes-femmes ont considérablement évolué depuis la seconde moitié du XXème siècle, et la révolution sexuelle ayant eu lieu dans les pays occidentaux à la fin des années soixante a remis en question le rôle de chacun, tant au niveau de la société que du couple. La femme, contrainte depuis des centaines d’années à la soumission envers l’homme régissant la cellule familiale (qu’il s’agisse du père ou du mari) s’est soudain trouvée propulsée dans une arène où elle était enfin libre de disposer de son corps et de sa vie, déverrouillant un à un les tabous qui la cantonnaient aux rôles d’épouse et de mère. Un nouveau chapitre s’est alors ouvert, et le sexe dit faible a pu revendiquer sans honte son droit au désir ainsi qu’au plaisir. Cette «libération» féminine n’a cependant pas été sans conséquences.

L’image de la femme moderne, affranchie de la plupart des interdits du passé, a commencé à susciter un vif intérêt de la part de toutes sortes d’industries. Pour quelle raison? Tout simplement parce qu’elle est porteuse de désir, et que dans l’esprit de chaque individu, le désir est le chemin qui mène droit au plaisir. La sexualité et l’argent sont deux constantes que l’on retrouve au centre de toutes les sociétés développées. Une locomotive puissante faisant tourner le monde depuis des lustres, mais dont le potentiel a été décuplé en l’espace d’une quarantaine d’années, pour le plus grand bonheur d’une multitude de secteurs professionnels allant de la publicité à l’univers de la pornographie sous toutes ses formes. Il faut susciter le désir, coûte que coûte. La recette demeure invariablement la même: neuf fois sur dix, on met en avant le profil d’une femme sensuelle et libérée, totalement décomplexée par rapport à son corps et à ses envies, qu’elle n’hésite pas à exprimer ouvertement. L’explosion de l’industrie pornographique témoigne de l’ampleur et surtout de l’uniformisation de ce phénomène qui consiste à créer une véritable surenchère autour du désir. La femme libérée (re)devient alors femme-objet et se contraint à une nouvelle forme d’assujettissement dans le but de satisfaire des consommateurs avides de sensations. La frontière entre envie et désir devient extrêmement ténue, entraînant une perte de repères.

Ce qui pouvait apparaitre comme choquant il y a une trentaine, voire seulement une quinzaine d’années, est largement toléré à l’heure actuelle, voire intégré dans les mœurs du grand public. Lorsque des scènes de nature pornographique sont visionnées par des adultes conscients de leur caractère fictif, elles constituent une forme de divertissement ponctuel et demeurent sans incidence tant qu’elles n’entrent pas dans un cadre addictif. En revanche, pour des adolescents et des jeunes dont la personnalité et la sexualité sont encore en construction, la pornographie peut avoir des conséquences graves dans la mesure où, étant généralement leur seul repère, elle constitue un modèle, un exemple à suivre. Or ce type de fiction, qui présente une sexualité formatée visant une certaine cible de spectateurs, n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Notre monde est bien plus complexe, diversifié et remarquable que la bulle étroite et cloisonnée à laquelle l’industrie du sexe le réduit. Mettre en scène une gamme étendue de fantasmes masculins et en faire naître de nouveaux pour propulser les ventes, telle est la vocation de ces films qui ne laissent aucune place aux sentiments ou au désir. Car le désir se nourrit de différents ingrédients dont l’attente, et l’émotion. Attendre, c’est faire monter la tension; laisser le désir nous envahir peu à peu jusqu’à ce qu’il s’empare totalement de notre être et nous fasse chavirer. Lorsque l’émotion se mêle à la fièvre de l’attente, il est possible d’atteindre un état quasi extatique induit par la puissance du désir. Les productions pornographiques se démarquent nettement de cet état de grâce. Elles se contentent de mettre en relief la soumission et la performance, nous livrant du «trash sex» résultant d’une simple pulsion, comparable à une fringale subite qui serait assouvie en ingurgitant une préparation bas de gamme dans une chaîne de restauration rapide. Les images sont crues, dénuées d’émotion, au point que certaines s’apparentent d’avantage à l’étal d’un boucher qu’à une glorification des corps, tant elles réduisent l’être humain à l’état de vulgaires organes, à l’opposé de ce que des artistes comme Michel-Ange ou Botticelli ont pu montrer à travers leurs représentations de la nudité. En ce sens, la pornographie nous rapproche d’avantage de l’animal soumis à des périodes de rut que de l’Homme civilisé cultivant la séduction comme un langage à part entière, et l’érotisme comme un art. Au lieu d’être dépeinte comme la célébration d’une fusion charnelle et spirituelle, cette vision de la sexualité la rabaisse profondément.

Dans la majorité des pays industrialisés, la surabondance de références renvoyant directement au corps et à la sexualité est absolument inévitable. Cette saturation, en grande partie responsable de l’érosion du désir, constitue l’un des grands maux de notre époque, à la base de nombreuses incompréhensions et frustrations; c’est également l’ennemi majeur de la vie affective et sexuelle. A trop vouloir provoquer le désir, on finit par l’étouffer. Le mets le plus savoureux nous conduirait à l’écoeurement si nous le consommions de façon excessive et récurrente. Il en résulterait même un dégoût si nous l’avalions à toute vitesse, sans prendre le temps de l’apprécier, de le déguster, d’en découvrir l’éventail des arômes les plus subtils…. Cette comparaison est certes simpliste, mais il en va de même en ce qui concerne le désir. Un individu, homme ou femme, n’est pas un produit de consommation que l’on utilise et dont on se débarrasse après emploi comme on le ferait avec un accessoire jetable. Nous avons tous une histoire qui nous est propre, une sensibilité et des sentiments uniques. Or le monde d’aujourd’hui, où vitesse et performance sont devenues des valeurs absolues, a tendance à dénaturer notre vie personnelle, y compris dans ses recoins les plus intimes. Très souvent, les relations se nouent et se rompent rapidement, avant même que le désir ait pu investir les esprits et les corps. La course contre la montre nous fait régulièrement passer à côté de l’essentiel. Alors qu’il faudrait prendre tout le temps de découvrir l’autre, tant sur un plan intellectuel que physique, la plupart des personnes sombrent dans la précipitation et se contentent de bien peu, ne laissant pas le désir se développer et s’épanouir, à l’image d’une fleur qui ouvrirait ses pétales petit à petit. Les cinq sens nous octroyant la possibilité de nous ouvrir pleinement sur le monde sont également destinés à partir à la découverte de l’autre, à conquérir le continent inexploré qu’il représente, un univers complexe constitué d’innombrables facettes. Encore faut-il savoir les utiliser.

Le désir a également besoin de mystère pour croître. Une surexposition de soi au sens propre comme au sens figuré nuit à ce voile recouvrant l’inconnu, et que l’on a envie d’ôter délicatement afin de mettre à jour ce qu’il cache. En prenant soin de ne pas brûler les étapes, on cultive le mystère et attise le désir. Une femme partiellement dévêtue sera infiniment plus désirable et sensuelle en se nimbant de mystère plutôt qu’en exposant sa nudité au grand jour; en révélant toute son intimité de façon brutale, sans la moindre nuance, celui qui la contemple n’aurait plus envie de laisser son esprit vagabonder au fil de ses courbes. Le mystère stimule l’imagination, condition sine qua non à l’épanouissement du désir. Malheureusement, nos contemporains ont tendance à devenir relativement paresseux, probablement du fait des conséquences d’une vie matérielle leur offrant d’innombrables commodités au sens pratique. Ce phénomène, qui consiste à en faire de moins en moins, semble envahir notre vie courante, s’incrustant jusqu’aux tréfonds de l’intime. Le manque de temps induit par des calendriers surchargés n’arrange rien. Souvent, les hommes et les femmes se limitent à un minimum d’efforts pour séduire, préférant se contenter de conquêtes faciles, interchangeables, exigeant un investissement personnel moindre. Lorsque l’imagination est en berne, le désir se trouve inhibé et le processus relationnel compromis; pourtant, rien n’est plus stimulant que cette incroyable faculté dont nous disposons tous et que nous pouvons faire évoluer au gré de nos envies. Mais là encore, il faut s’investir. L’imagination nous apporte de l’originalité, un grain de folie qui constitue le piment de toute relation et de notre existence en général. Elle nous permet de lutter contre la monotonie et de faire tomber les barrières de la standardisation.  

Il ne tient qu’à nous de faire naître et entretenir la flamme du désir, ciment relationnel indispensable à un couple. La société de consommation qui est la nôtre fait que nous voulons tout obtenir, le plus rapidement possible, car les objets de notre convoitise semblent à portée de main. Mais le désir est autre. Il relève exclusivement de ce qui a trait à l’humain et se distingue du domaine matériel; c’est cette confusion qui nous égare. En prenant le temps de partir à la découverte de son partenaire sans se plier aux pressions du monde extérieur ou aux phénomènes de mode, en se respectant soi-même et en respectant la personne qui se trouve face à nous, il est possible de créer un climat propice à l’éveil du désir dont les routes peuvent mener vers les plus belles destinations, y compris celle de l’amour.             






jeudi 1 décembre 2011

S.E Mr DENIS PIETTON, AMBASSADEUR DE FRANCE AU LIBAN



Unis par les jalons de l’histoire, le Liban et la France ont toujours connu des destins croisés. Depuis le XIIème siècle, ces deux pays entretiennent des liens privilégiés dont les premiers fondements ont été établis par les rois de France et la communauté Maronite. Au fil du temps, ces liens ont évolué et n’ont cessé de se renforcer. Aujourd’hui plus que jamais, l’amitié franco-libanaise s’articule autour de valeurs communes allant bien au-delà de la francophonie.

Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur de France Denis Pietton m'a reçue au sein même de sa demeure, La Résidence des Pins, un lieu d’exception témoin des grands événements qui ont marqué l’histoire du Liban au XXème siècle. 












Votre Excellence, vous êtes Ambassadeur de France au Liban depuis deux ans. Connaissiez-vous bien ce pays avant d’avoir été nommé à la tête de l’Ambassade?


Je ne connaissais pas du tout le Liban. J’avais eu l’occasion de passer très brièvement dans ce pays il y a une trentaine d’années lorsque je faisais mon service militaire au sultanat d’Oman; j’allais voir mes parents qui se trouvaient alors en Turquie et étais passé par Beyrouth. Je n’avais cependant pas eu l’opportunité de sortir de l’aéroport où j’avais passé plusieurs heures. Etre nommé au Liban bien des années plus tard a été une agréable surprise.




Quelles ont été vos premières impressions lors de votre arrivée à Beyrouth?
 
Mes toutes premières impressions se rapportent au moment où l’avion a atterri sur le sol Libanais. Lors du survol de la côte, j’avais trouvé la ville particulièrement belle car elle donnait une impression de blancheur. C’est un site magnifique qui, à mes yeux, s’apparente à certaines grandes villes du sud de l’Europe (y compris françaises comme Marseille, Nice) ou encore des villes italiennes «en balcon» sur la Méditerranée. Malheureusement, la guerre civile est passée par là, ce qui a occasionné une certaine anarchie au niveau de l’urbanisme, de la circulation… On trouve des niveaux de pollution importants… Tout cela pose problème au quotidien. Ceci dit, je n’ai pas été surpris car j’ai découvert au Liban ce que j’attendais de Beyrouth, c’est-à-dire une ville très diversifiée avec des aspects européens à certains égards, tout en demeurant une cité du Proche-Orient. Je me suis toujours intéressé à cette région du monde et apprécie le dynamisme que l’on y trouve; or de ce point de vue, Beyrouth est une ville extrêmement active.


La communauté française est particulièrement bien intégrée au Liban. Pensez-vous que les liens étroits unissant français et libanais soient principalement dûs à l’usage commun de la langue française, aux racines latines que nous partageons, ou à une philosophie de vie épicurienne?

Selon moi, c’est un peu tout cela à la fois. La langue n’est pas uniquement un vecteur de communication, elle véhicule également un certain nombre de références et de valeurs. En outre, la présence marquée de la francophonie au Liban fait que nous avons un certain mode de vie en commun avec les habitants de ce pays. J’ai par exemple été frappé en remarquant que l’on trouvait beaucoup de produits français au Liban; les gens cultivent le plaisir de la convivialité, la cuisine libanaise est connue et renommée dans le monde entier… Nous partageons avec les libanais une forme d’épicurisme nous rapprochant bien au-delà de notre histoire commune qui s’inscrit dans la continuité.


A ce stade de votre parcours diplomatique, de quelle façon percevez-vous le Liban et comment définiriez-vous ses spécificités socio-culturelles par rapport aux pays où vous avez été en poste précédemment?


Chaque pays est unique et il est difficile d’établir des comparaisons. J’ai toujours été impressionné par l’affection que le peuple libanais éprouve, à différents degrés, pour notre pays. Dans leur grande majorité, les libanais aiment la France. Je n’ai jamais rencontré de réactions d’hostilité à l’égard de notre patrie; en fait, j’ai l’impression que notre histoire commune (qui remonte à plusieurs centaines d'années, sans oublier le mandat français si l’on veut évoquer un passé plus récent…) a plutôt laissé un bon souvenir aux libanais. La référence à la France est généralement très positive, chose relativement peu courante dans les territoires où elle a été présente en tant que puissance coloniale (comme au Maghreb ou en Afrique). Rares sont les pays où il existe un à priori aussi nettement francophile qu’au Liban. Très souvent, dans les régions du monde où la France a marqué sa présence, on retrouve de la sympathie mêlée à l’expression d’une certaine forme de «reproche historique» par rapport au colonialisme. Au Liban, ce n’est pas du tout le cas. Nous avons la chance d’avoir pour partenaire un pays qui aime la France, tout simplement.


Quelles sont les nouvelles initiatives entreprises par la France afin de favoriser et renforcer son rayonnement culturel au Liban?



Actuellement se pose la question de la francophonie. Beaucoup de libanais ont le sentiment que le français est en déclin. C’est un sujet délicat sur lequel il faut se pencher de près. Dans le cadre de l’enseignement public, les filières francophones restent très largement majoritaires par rapport aux filières anglophones. Il existe au Liban des universités francophones et l’on retrouve des filières en langue française dans différents établissements, y compris à l’université libanaise où est notamment proposée une filière de droit en langue française constituant un bel exemple de réussite; j’aimerais également citer l’ESA (Ecole Supérieure des Affaires), créée il y a 15 ans, prouvant que l’on peut faire des études d’affaires de niveau international en français. La francophonie demeure très présente au Liban même s’il est clair que l’anglais progresse. Toute l’idée à la base de l’adhésion du Liban à un pacte francophone signé avec  l’Organisation Internationale de la Francophonie est de renforcer la place du français dans les administrations, de consolider sa position dans l’enseignement (notre service culturel y travaille assidûment avec le ministère de l’éducation libanais) et de montrer que l’usage et la connaissance du français permettent d’avoir accès à un environnement culturel aussi complet que diversifié. C’est là tout le travail qu’effectuent nos services en charge de la culture, ainsi que l’Institut Culturel qui va bientôt voir le jour. Nous essayons d’avoir une présence aussi multiforme que possible, souvent en collaboration avec des partenaires libanais. Je pense que la question essentielle n’est pas la concurrence entre le français et l’anglais. La chance des libanais est de pouvoir être trilingues (arabe-français-anglais). Or les études montrent que l’on ne peut être parfaitement trilingue qu’en passant par l’apprentissage du français. L’arabe étant la langue maternelle, on passera plus facilement à l’anglais après avoir étudié le français que si l’on a étudié l’anglais en premier lieu. Mon conseil aux jeunes libanais souhaitant être trilingues (ce qui constitue une réelle chance dans le monde global d’aujourd’hui) est de passer d’abord par le français, l’apprentissage de la langue anglaise pouvant se faire ultérieurement et de façon plus fluide.


Pouvez-vous évoquer en quelques mots l’Institut Culturel Français qui va s’ouvrir prochainement?


L’Institut s’ouvrira officiellement le 1er janvier. Il s’agira essentiellement d’une présentation de ce que nous proposerons; en effet, nous avons pensé qu’il fallait rendre nos activités culturelles plus attractives, concentrées, et plus visibles par rapport au public libanais. La vocation de l’Institut Culturel Français est véritablement d’être la vitrine culturelle de la France au Liban. Ceci met un terme à une sorte de dichotomie qui s’était installée entre le service culturel de l’ambassade et la mission culturelle française. Désormais, la culture française a une adresse au Liban: l’Institut Français.



L’écrivain Amin Maalouf a été élevé au rang d’Immortel par l’Académie Française il y a quelques mois. Le fait qu’un auteur d’origine libanaise accède à une fonction d’aussi haute importance est une grande fierté pour tous ses concitoyens et lecteurs. Qu’avez-vous pensé de cette élection?

C’est un événement formidable qui prouve à tous que la langue de Molière n’est pas la «propriété» exclusive des français mais qu’elle appartient à toutes les personnes qui la parlent. Le français est une langue de partage. La France croit beaucoup en la diversité culturelle et linguistique. Le fait de reconnaître les qualités d’un écrivain libanais, de lui donner le statut d’Immortel, est une très belle reconnaissance de ce que la pluralité et les échanges culturels peuvent apporter aux peuples. Je pense que c’est également un facteur de paix: le dialogue et la meilleure connaissance de l’autre, de sa culture, permettent d’entretenir des relations à la fois apaisées et pacifiques. Je suis très impressionné par l’impact que cette élection a eu au Liban, tout comme en France où la nouvelle a été extrêmement bien accueillie.


Vous occupez la Résidence des Pins, une somptueuse demeure chargée de souvenirs et de symboles. Quelle est l’histoire de ce lieu mythique et comment est-il devenu la résidence des Ambassadeurs de France ?


A l’origine, la Résidence des Pins a été édifiée sur un terrain appartenant à la famille Sursock qui avait voulu construire une sorte d’ensemble de loisirs sous la forme d’un grand bâtiment censé abriter un casino. De ce projet sont nés la Résidence des Pins et l’Hippodrome (ce dernier est situé à côté de la Résidence et existe toujours). Contrairement à ce qui avait été initialement prévu, la Résidence des Pins n’a jamais été convertie en casino. Construite au XXème siècle, peu avant la fin de la première guerre mondiale, elle a servi de demeure au Résident Général Français. C’est sur le perron de cette propriété qu’a été proclamé, le 1er septembre 1920, le Grand Liban correspondant au Liban moderne tel que nous le connaissons dans ses limites géographiques actuelles. Dans mon bureau se trouve un tableau immortalisant ce moment historique et sur lequel est représenté le Général Gouraud entouré des principaux dignitaires religieux libanais de l’époque. La Résidence des Pins a reçu le Résident Général Français jusqu’en 1943, date de l’indépendance du Liban. A ce moment, elle est devenue la Résidence officielle des Ambassadeurs de France. C’est une maison qui a toujours été associée à la France, que ce soit à l’époque du mandat ou après l’indépendance, mais c’est également un lieu historique pour les libanais car le Liban actuel a été créé ici même de façon à la fois officielle et symbolique. Cette demeure a traversé l’histoire libanaise et la France l’a toujours conservée en dépit de la guerre. Elle n’a d’ailleurs jamais été désertée lors des conflits, il y a systématiquement eu une présence à la Résidence des Pins que ce soit à travers un gardien, des gendarmes ou des soldats lorsque l’ambassadeur ne pouvait plus y séjourner du fait des combats alentours. La Résidence a malheureusement été gravement endommagée pendant la guerre civile; compte tenu du symbole incarné par cette maison, le Président Chirac a souhaité qu’elle soit restaurée et redevienne la résidence des Ambassadeurs de France. Notre pays a mobilisé d’importants moyens afin de mettre en œuvre une restauration de qualité. A la suite des travaux, la Résidence a été inaugurée par le Président Jacques Chirac en 1998. Il est frappant de constater qu’une quinzaine d’années après sa restauration, cette magnifique maison soit toujours aussi bien conservée. Nous en sommes très fiers et la gardons comme la prunelle de nos yeux. C’est une demeure à la fois française et libanaise. 

De nombreuses personnalités ont séjourné à la Résidence des Pins, cependant la plus marquante d’entre elles est incontestablement le Général de Gaulle. Après s’être rendu deux fois à Beyrouth dans les années 30, il est revenu au Liban en tant que Chef de la France libre en juillet 1941 et août 1942; c’est à cette occasion qu’il a séjourné dans la Résidence.

 

Aimeriez-vous adresser un message à vos compatriotes vivant au Liban ainsi qu’aux amis de la France et aux amoureux de sa culture? 

Le message me tenant à coeur est celui que j’ai adressé le 14 juillet dernier: j’avais mis en avant tout ce qui représentait le Liban en termes de talent. Je trouve le peuple libanais entreprenant et dynamique; il a su s’accommoder aux migrations, s’intégrer dans les pays qui l’ont accueilli tout en maintenant un lien affectif ou familial avec sa terre natale. Je considère que le Liban nous donne beaucoup de leçons d’optimisme; en Europe, du fait de la crise économique et de certaines difficultés du quotidien, nous manquons souvent d’optimisme et ne nous rendons pas forcément compte de tous les avantages qui nous sont offerts. J’aimerais donc dire aux français du Liban et aux franco-libanais qu’ils ont de la chance d’appartenir à ce pays et d’y vivre. Les français sont remarquablement bien accueillis, bien acceptés, et je pense que les libanais ont énormément de choses à apporter à notre pays. D’ailleurs ils l’ont déjà fait, pour preuve le succès de la diaspora libanaise en France. Récemment, à l’occasion de la visite du patriarche maronite à Paris, nous avons pu nous féliciter, en compagnie des personnalités françaises qui l’avaient rencontré, de la très bonne intégration des libanais. Cette communauté est chez elle en France, se sent très à l’aise dans notre culture, connaît nos références, notre histoire, fait preuve de dynamisme et de créativité… C’est une chance pour notre pays que d’entretenir de telles relations humaines avec le Liban.



Merci à Madame Anne-Charlotte Dommartin et Monsieur Stanislas Verpoort pour leur collaboration.












STEVE JOBS, DISPARITION DU GENIE QUI A REVOLUTIONNE NOTRE QUOTIDIEN







Après des années de lutte contre la maladie, Steve Jobs a tiré sa révérence le 5 octobre 2011, laissant derrière lui l’une des multinationales les plus importantes du monde. Parti de rien, celui qui avait mis au point le premier ordinateur Apple avec son acolyte Steve Wozniak (dans le garage familial de Los Altos, en Californie) incarnait bien plus que le rêve américain: au fil des ans, Steve Jobs est devenu une véritable icône. Admiré, voire même adulé par des millions d’adeptes de la marque à la pomme aux quatre coins du globe, Jobs a marqué son temps d’une empreinte indélébile. A tel point que sa disparition a créé une onde de choc à l’échelle planétaire: les cinq continents ont été balayés par une vague d’émotion intense, un phénomène de masse comparable à ce qui se produit parfois lors du décès de grandes stars de la musique ou du cinéma, et dont ont été témoins les médias ainsi que les réseaux sociaux.



Le talent de Steve Jobs ne s’est pas limité à la seule démocratisation de l’outil informatique qu’il a rendu accessible au plus grand nombre. Loin d’être un prodige de la programmation, ce visionnaire passionné de technologie a fait preuve de génie en sachant anticiper les besoins du public et en créant des instruments qui allaient révolutionner notre quotidien de façon plus ou moins directe. Les innovations d’Apple ont définitivement bouleversé notre manière de communiquer, d’apprendre, de nous divertir…. Mais la généralisation de l’informatique a avant tout eu des répercussions majeures dans des domaines comme la science ou la recherche. En accélérant le processus de traitement de l’information, en raccourcissant de façon virtuelle les distances géographiques, Jobs a significativement contribué à l’amélioration de nos conditions de vie.



Loin du monde cartésien des ingénieurs en informatique, le co-fondateur d’Apple ne s’est jamais fixé de limites, lançant tour à tour les paris les plus fous autour de la création de produits auxquels quasiment personne ne croyait, mais dont il était convaincu qu’ils deviendraient indispensables à chacun de nous. Toute sa vie durant, il a su conserver cette incroyable fougue propre à la jeunesse, seule force permettant de croire qu’à tout moment, il est possible de changer le monde. Rétif au conformisme dans lequel la plupart des individus s’enracinent avec les années, Steve Jobs se démarquait systématiquement du plus grand nombre dans sa façon d’agir et de penser. Au point de transformer cette attitude en slogan afin d’inciter les consommateurs à faire de même en acquérant ses produits: «Think different» («pensez différemment») disait la publicité.  



Le jour de l’annonce du décès du patron d’Apple, le président Barack Obama a déclaré: «Steve était l’un des plus grands inventeurs américains, assez courageux pour penser différemment, assez audacieux pour croire qu’il pouvait changer le monde, et assez talentueux pour le faire.» C’était là tout le génie de Jobs qui a prouvé au monde entier que rien n’est impossible pour ceux qui croient en leurs rêves. Personnage charismatique doté d’une aura incroyable, adulé comme une véritable rockstar de son vivant, Steve Jobs ne figurera jamais au panthéon des grands inventeurs ou des richissimes chefs d’entreprises car il fait désormais partie des mythes de l’histoire contemporaine.







dimanche 24 juillet 2011

S.E MR BOUTROS ASSAKER, AMBASSADEUR DU LIBAN EN FRANCE



Haut lieu de représentation de l'Etat, l'ambassade du Liban, installée à Paris, est également synonyme de raffinement et d'élégance. Idéalement située au sein de la Villa Copernic, l'ambassade arbore avec fierté les couleurs du pays du Cèdre. Son Excellence Monsieur l'Ambassadeur Boutros Assaker m'a ouvert les portes de cette somptueuse demeure afin d'évoquer son quotidien.









Votre Excellence, quel a été votre parcours diplomatique et depuis quand êtes-vous à la tête de l'ambassade du Liban en France?


J'ai commencé ma carrière à Bogota, en Colombie, où j'ai passé trois ans en tant que Premier Secrétaire. Parallèlement à cela, j'ai préparé une maîtrise de sciences politiques à la prestigieuse Université Catholique de Bogota. J'ai ensuite été muté à Belgrade, peu avant l'implosion de la Fédération Yougoslave. J'ai acquis une grande expérience dans ce pays qui présente des similitudes avec la société libanaise. Par ailleurs, j'ai également été premier conseiller et chef de mission diplomatique à Rome, où je suis resté sept ans, avant d'être nommé Ambassadeur auprès de la Fédération de Russie et de la République de Biélorussie. Puis je suis retourné à Beyrouth où j'étais directeur des Affaires Politiques au Ministère des Affaires Etrangères, tout en exerçant la charge de Secrétaire Général. Lors de mon séjour au Liban, le gouvernement libanais m’a chargé de suivre le dossier de l'assassinat de l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri au Conseil de Sécurité des Nations Unies. J'ai contribué à l'établissement de la commission d'enquête et à la création du tribunal international. A la suite de cette période qui a duré presque trois ans, j'ai été nommé à Paris où je suis Ambassadeur du Liban depuis juillet 2007.



Comment se déroule l’une de vos journées type à l'ambassade?


Je me réveille très tôt, aux environs de six heures. Ma journée commence par une lecture de la presse libanaise et locale sur internet. Ensuite, je me consacre au sport en pratiquant une heure de jogging. A neuf heures précises, j’intègre mon bureau où je reste habituellement jusqu'à quinze heures. S'il y a des rendez-vous au Quai d'Orsay, dans d'autres ambassades, ou si je dois assister à des conférences, je me déplace personnellement ou délègue la mission à un diplomate de l'ambassade. Le soir, je dois souvent me consacrer à mes engagements sociaux. L'ambassade du Liban en France est une ambassade de premier plan, c’est le plus grand lieu de représentation de l’Etat libanais à l’étranger. Etant donné les relations très riches et variées entre nos deux pays sur les plans politique, culturel, social et économique, les visites sont très nombreuses, tout comme les sollicitations de différente nature. Elles prennent beaucoup de temps mais c'est pour moi très intéressant et une grande source de satisfaction dans la mesure où ces relations sont excellentes.


L'ambassade occupe la Villa Copernic, un très bel hôtel particulier. Quelle est l'histoire de ce lieu et dans quelles circonstances a-t-il été acquis par l'état Libanais?


La Villa Copernic est un hôtel particulier datant du XIXe siècle. Ahmad Al-Daûq, notre premier Ambassadeur, en a fait l'acquisition en 1944, juste après l'Indépendance. A la place des bureaux actuels se trouvait un petit jardin, les locaux administratifs n’ayant été construits qu’au milieu des années 1960. C'est l'une des plus belles ambassades libanaises dans le monde. Nous l’avons restaurée en 2009. Les banques libanaises de Paris ont contribué au financement des travaux. 



Le Liban et la France sont soudés par des liens historiques et culturels particulièrement étroits. En dépit de l'image négative véhiculée par la guerre civile, comment le Liban est-il perçu aujourd'hui et y a-t-il des idées reçues contre lesquelles vous aimeriez lutter par le biais de votre fonction d'Ambassadeur?


Les relations unissant le peuple libanais et la France remontent au XIIe siècle. Déjà à cette époque, les rapports entre les rois de France et la communauté maronite étaient étroits et privilégiés. En 1860, sous Napoléon III, les relations se sont concrétisées et renforcées. Un statut spécial a été accordé au Mont-Liban à la suite des événements douloureux qui s’y sont déroulés. Les relations qu’entretiennent le Liban et la France sont d'ordre culturel, cultuel, politique et économique. La France veille à l'indépendance et à la souveraineté du Liban. Je me réfère systématiquement à toutes les résolutions du Conseil de Sécurité concernant le Liban. C'est la France qui se charge de mettre en application les projets relatifs à ces résolutions dont les préambules comportent des clauses faisant référence au maintien ainsi qu’à la protection de la souveraineté et de l'indépendance de notre pays. La France s'implique beaucoup dans la préservation de l'unité du peuple libanais, elle aide à consolider cette unité et à protéger l'indépendance du Liban. Les relations entre les deux pays sont basées sur des valeurs humaines telles que la démocratie, la justice, la liberté, le dialogue, la modération... Nous partageons aussi des valeurs culturelles par le biais de la francophonie.


Parmi vos différentes missions, quelles sont celles qui vous tiennent le plus à cœur sur le plan humain?


Chaque pays a son charme, et chaque peuple a sa culture et ses coutumes. Pour un diplomate, il faut savoir s’adapter, même s’intégrer et comprendre le pays d’accréditation pour pouvoir travailler et réussir sa mission. En Colombie, dont le peuple était confronté à une grande pauvreté dans les années 1980, je ne pouvais qu’être sensible à la lutte quotidienne que menaient les Colombiens contre leurs conditions de vie, et que l’on observait dans les grands quartiers de la capitale et des villages avoisinants. Je crois que personne ne peut rester insensible à une telle souffrance. Il est vrai que ma fonction d'Ambassadeur me permet de vivre dans un cadre luxueux et privilégié. Toutefois, le fait de jouir de certains privilèges ne doit pas nous confiner dans l'isolement et faire de nous des étrangers par rapport à l'environnement dans lequel nous évoluons. Je me sens concerné et particulièrement sensibilisé par le sort des personnes qui vivent dans la misère. En Russie, j'ai été marqué par l'attachement profond du peuple russe à son pays, ainsi qu’à son nationalisme remarquable qui suscite l’admiration. Aucun obstacle n'a détourné ce peuple de ce qui est essentiel pour lui, à savoir la culture. Quant à l’Italie, pays méditerranéen, je ne pouvais que voguer dans sa culture, ses coutumes et les particularités du peuple italien qui ressemblent largement à celles du peuple libanais. 



Vous attachez beaucoup d'importance à la culture libanaise et contribuez à promouvoir son rayonnement. Quelles formes d'expression artistique préférez-vous mettre en avant lorsqu'il s'agit de présenter le Liban à des personnes ne connaissant pas votre pays?


Toutes les formes d'expression artistique m'intéressent, notamment celles qui contribuent au rayonnement culturel du Liban en France comme la littérature, la peinture, la musique.... J’aimerais citer les écrivains et les poètes libanais d'expression française tels Amine Maalouf, Salah Stétié, Andrée Chedid, Vénus Khoury-Ghata... Ayant consacré une partie de mes études aux lettres, j'ai naturellement tendance à promouvoir la littérature, sans pour autant négliger les autres disciplines. Je n'hésite jamais à parrainer la présentation d'une œuvre littéraire à l'Office du Tourisme libanais. Le domaine de la création littéraire libanaise est particulièrement prolifique et j’en suis réellement fier.


Si vous deviez décrire le Liban en quelques mots, lesquels choisiriez-vous?


On dit que le Liban est un message. Pour moi, c'est avant tout un brassage culturel et communautaire où la coexistence est en perpétuelle mutation.



Quelle place la francophonie occupe-t-elle au Liban? Pensez-vous qu'il faille multiplier les initiatives contribuant à la populariser, comme "La France au Liban" ou "Le Salon du Livre Francophone"?


A ce jour, la langue française, qui véhicule tant de valeurs communes à notre culture, occupe toujours la première place par rapport à d'autres langues étrangères couramment pratiquées, comme l'anglais ou l'espagnol. Un peu plus de 60% des libanais parlent français. Les défenseurs de la francophonie craignent cependant que la langue française soit reléguée au second plan derrière l'anglais. Les événements culturels organisés entre Paris et Beyrouth contribuent à préserver la place éminente occupée par la langue de Molière au Liban, même si ce ne sont pas des éléments déterminants. Je pense qu'un des points essentiels est l'enseignement de la langue française dans les écoles. Il existe désormais un programme d'aide s'appuyant sur le renforcement de l'enseignement du français et l'emploi de cette langue au sein des écoles, collèges, lycées et universités (établissements publics et privés) du Liban. Il faut encourager la lecture en ouvrant des centres dans toutes les bibliothèques et les différentes circonscriptions administratives libanaises. Le nombre de bibliothèques demeure encore limité dans beaucoup de nos régions, à mon grand regret. Il faut également pouvoir employer un personnel adéquat ayant bénéficié d'une formation spécifique pour enseigner la langue française dans les meilleures conditions. Des protocoles de coopération ont été mis en place au niveau des enseignants du secondaire et du supérieur, mais malheureusement cela ne suffit pas. Je pense que dans ce domaine, les efforts doivent être partagés entre la France et le Liban. Il est nécessaire de mettre en œuvre les meilleurs moyens en ce qui concerne le renforcement de l'apprentissage de la langue française au Liban.



Dans le cadre de l'exercice de vos fonctions, quels aspects vous rendent le plus fier de votre pays, de vos origines, et quelles valeurs tenez-vous à transmettre à vos compatriotes ainsi qu'aux citoyens étrangers? 


Je suis très heureux d'être Ambassadeur du Liban à Paris. Tout d'abord, c'est pour moi un honneur de représenter le gouvernement et le peuple libanais en France. Cela a une signification spéciale du fait des relations historiques privilégiées qu'entretiennent nos deux pays. Paris est notre première destination. D’autre part, il y a une importante communauté libanaise et franco-libanaise installée en France depuis des années dont je suis très fier. C'est une communauté particulièrement intégrée au sein de laquelle on trouve des personnes issues de milieux variés. Il y a par exemple cinq mille médecins d'origine libanaise en France mais également des ingénieurs, des professeurs d'université, des intellectuels, des écrivains, des artistes, des hommes d'affaires, des restaurateurs, des artisans, des petits commerçants.... Le peuple français considère le peuple libanais comme un peuple frère et l'a toujours accueilli chaleureusement. Le Liban est un petit pays qui a traversé un grand nombre d'épreuves; des protagonistes étrangers ont tenté de le transformer en un champ de bataille. En dépit de toutes les guerres, de toutes les épreuves, le Liban est resté fidèle à lui-même. Sa personnalité juridique internationale n'a pas été remise en cause durant les années de guerre, son administration n'a jamais cessé de fonctionner, car malgré les clivages politiques, les libanais ont su demeurer viscéralement attachés à leur pays. Le patriotisme, le dialogue, la tolérance, le vivre en commun, l’attachement profond à la liberté, à la démocratie et à la justice, se perpétuent dans le cœur de chaque libanais, où qu'il vive.