Haut lieu de représentation de l'Etat, l'ambassade du Liban, installée à Paris, est également synonyme de raffinement et d'élégance. Idéalement située au sein de la Villa Copernic, l'ambassade arbore avec fierté les couleurs du pays du Cèdre. Son Excellence Monsieur l'Ambassadeur Boutros Assaker m'a ouvert les portes de cette somptueuse demeure afin d'évoquer son quotidien.
Votre Excellence, quel a été votre parcours diplomatique et depuis quand êtes-vous à la tête de l'ambassade du Liban en France?
J'ai commencé ma carrière à Bogota, en Colombie, où j'ai passé trois ans en tant que Premier Secrétaire. Parallèlement à cela, j'ai préparé une maîtrise de sciences politiques à la prestigieuse Université Catholique de Bogota. J'ai ensuite été muté à Belgrade, peu avant l'implosion de la Fédération Yougoslave. J'ai acquis une grande expérience dans ce pays qui présente des similitudes avec la société libanaise. Par ailleurs, j'ai également été premier conseiller et chef de mission diplomatique à Rome, où je suis resté sept ans, avant d'être nommé Ambassadeur auprès de la Fédération de Russie et de la République de Biélorussie. Puis je suis retourné à Beyrouth où j'étais directeur des Affaires Politiques au Ministère des Affaires Etrangères, tout en exerçant la charge de Secrétaire Général. Lors de mon séjour au Liban, le gouvernement libanais m’a chargé de suivre le dossier de l'assassinat de l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri au Conseil de Sécurité des Nations Unies. J'ai contribué à l'établissement de la commission d'enquête et à la création du tribunal international. A la suite de cette période qui a duré presque trois ans, j'ai été nommé à Paris où je suis Ambassadeur du Liban depuis juillet 2007.
Comment se déroule l’une de vos journées type à l'ambassade?
Je me réveille très tôt, aux environs de six heures. Ma journée commence par une lecture de la presse libanaise et locale sur internet. Ensuite, je me consacre au sport en pratiquant une heure de jogging. A neuf heures précises, j’intègre mon bureau où je reste habituellement jusqu'à quinze heures. S'il y a des rendez-vous au Quai d'Orsay, dans d'autres ambassades, ou si je dois assister à des conférences, je me déplace personnellement ou délègue la mission à un diplomate de l'ambassade. Le soir, je dois souvent me consacrer à mes engagements sociaux. L'ambassade du Liban en France est une ambassade de premier plan, c’est le plus grand lieu de représentation de l’Etat libanais à l’étranger. Etant donné les relations très riches et variées entre nos deux pays sur les plans politique, culturel, social et économique, les visites sont très nombreuses, tout comme les sollicitations de différente nature. Elles prennent beaucoup de temps mais c'est pour moi très intéressant et une grande source de satisfaction dans la mesure où ces relations sont excellentes.
L'ambassade occupe la Villa Copernic, un très bel hôtel particulier. Quelle est l'histoire de ce lieu et dans quelles circonstances a-t-il été acquis par l'état Libanais?
La Villa Copernic est un hôtel particulier datant du XIXe siècle. Ahmad Al-Daûq, notre premier Ambassadeur, en a fait l'acquisition en 1944, juste après l'Indépendance. A la place des bureaux actuels se trouvait un petit jardin, les locaux administratifs n’ayant été construits qu’au milieu des années
Le Liban et la France sont soudés par des liens historiques et culturels particulièrement étroits. En dépit de l'image négative véhiculée par la guerre civile, comment le Liban est-il perçu aujourd'hui et y a-t-il des idées reçues contre lesquelles vous aimeriez lutter par le biais de votre fonction d'Ambassadeur?
Les relations unissant le peuple libanais et la France remontent au XIIe siècle. Déjà à cette époque, les rapports entre les rois de France et la communauté maronite étaient étroits et privilégiés. En 1860, sous Napoléon III, les relations se sont concrétisées et renforcées. Un statut spécial a été accordé au Mont-Liban à la suite des événements douloureux qui s’y sont déroulés. Les relations qu’entretiennent le Liban et la France sont d'ordre culturel, cultuel, politique et économique. La France veille à l'indépendance et à la souveraineté du Liban. Je me réfère systématiquement à toutes les résolutions du Conseil de Sécurité concernant le Liban. C'est la France qui se charge de mettre en application les projets relatifs à ces résolutions dont les préambules comportent des clauses faisant référence au maintien ainsi qu’à la protection de la souveraineté et de l'indépendance de notre pays. La France s'implique beaucoup dans la préservation de l'unité du peuple libanais, elle aide à consolider cette unité et à protéger l'indépendance du Liban. Les relations entre les deux pays sont basées sur des valeurs humaines telles que la démocratie, la justice, la liberté, le dialogue, la modération... Nous partageons aussi des valeurs culturelles par le biais de la francophonie.
Parmi vos différentes missions, quelles sont celles qui vous tiennent le plus à cœur sur le plan humain?
Chaque pays a son charme, et chaque peuple a sa culture et ses coutumes. Pour un diplomate, il faut savoir s’adapter, même s’intégrer et comprendre le pays d’accréditation pour pouvoir travailler et réussir sa mission. En Colombie, dont le peuple était confronté à une grande pauvreté dans les années 1980, je ne pouvais qu’être sensible à la lutte quotidienne que menaient les Colombiens contre leurs conditions de vie, et que l’on observait dans les grands quartiers de la capitale et des villages avoisinants. Je crois que personne ne peut rester insensible à une telle souffrance. Il est vrai que ma fonction d'Ambassadeur me permet de vivre dans un cadre luxueux et privilégié. Toutefois, le fait de jouir de certains privilèges ne doit pas nous confiner dans l'isolement et faire de nous des étrangers par rapport à l'environnement dans lequel nous évoluons. Je me sens concerné et particulièrement sensibilisé par le sort des personnes qui vivent dans la misère. En Russie, j'ai été marqué par l'attachement profond du peuple russe à son pays, ainsi qu’à son nationalisme remarquable qui suscite l’admiration. Aucun obstacle n'a détourné ce peuple de ce qui est essentiel pour lui, à savoir la culture. Quant à l’Italie, pays méditerranéen, je ne pouvais que voguer dans sa culture, ses coutumes et les particularités du peuple italien qui ressemblent largement à celles du peuple libanais.
Vous attachez beaucoup d'importance à la culture libanaise et contribuez à promouvoir son rayonnement. Quelles formes d'expression artistique préférez-vous mettre en avant lorsqu'il s'agit de présenter le Liban à des personnes ne connaissant pas votre pays?
Toutes les formes d'expression artistique m'intéressent, notamment celles qui contribuent au rayonnement culturel du Liban en France comme la littérature, la peinture, la musique.... J’aimerais citer les écrivains et les poètes libanais d'expression française tels Amine Maalouf, Salah Stétié, Andrée Chedid, Vénus Khoury-Ghata... Ayant consacré une partie de mes études aux lettres, j'ai naturellement tendance à promouvoir la littérature, sans pour autant négliger les autres disciplines. Je n'hésite jamais à parrainer la présentation d'une œuvre littéraire à l'Office du Tourisme libanais. Le domaine de la création littéraire libanaise est particulièrement prolifique et j’en suis réellement fier.
Si vous deviez décrire le Liban en quelques mots, lesquels choisiriez-vous?
On dit que le Liban est un message. Pour moi, c'est avant tout un brassage culturel et communautaire où la coexistence est en perpétuelle mutation.
Quelle place la francophonie occupe-t-elle au Liban? Pensez-vous qu'il faille multiplier les initiatives contribuant à la populariser, comme "La France au Liban" ou "Le Salon du Livre Francophone"?
A ce jour, la langue française, qui véhicule tant de valeurs communes à notre culture, occupe toujours la première place par rapport à d'autres langues étrangères couramment pratiquées, comme l'anglais ou l'espagnol. Un peu plus de 60% des libanais parlent français. Les défenseurs de la francophonie craignent cependant que la langue française soit reléguée au second plan derrière l'anglais. Les événements culturels organisés entre Paris et Beyrouth contribuent à préserver la place éminente occupée par la langue de Molière au Liban, même si ce ne sont pas des éléments déterminants. Je pense qu'un des points essentiels est l'enseignement de la langue française dans les écoles. Il existe désormais un programme d'aide s'appuyant sur le renforcement de l'enseignement du français et l'emploi de cette langue au sein des écoles, collèges, lycées et universités (établissements publics et privés) du Liban. Il faut encourager la lecture en ouvrant des centres dans toutes les bibliothèques et les différentes circonscriptions administratives libanaises. Le nombre de bibliothèques demeure encore limité dans beaucoup de nos régions, à mon grand regret. Il faut également pouvoir employer un personnel adéquat ayant bénéficié d'une formation spécifique pour enseigner la langue française dans les meilleures conditions. Des protocoles de coopération ont été mis en place au niveau des enseignants du secondaire et du supérieur, mais malheureusement cela ne suffit pas. Je pense que dans ce domaine, les efforts doivent être partagés entre la France et le Liban. Il est nécessaire de mettre en œuvre les meilleurs moyens en ce qui concerne le renforcement de l'apprentissage de la langue française au Liban.
Dans le cadre de l'exercice de vos fonctions, quels aspects vous rendent le plus fier de votre pays, de vos origines, et quelles valeurs tenez-vous à transmettre à vos compatriotes ainsi qu'aux citoyens étrangers?
Je suis très heureux d'être Ambassadeur du Liban à Paris. Tout d'abord, c'est pour moi un honneur de représenter le gouvernement et le peuple libanais en France. Cela a une signification spéciale du fait des relations historiques privilégiées qu'entretiennent nos deux pays. Paris est notre première destination. D’autre part, il y a une importante communauté libanaise et franco-libanaise installée en France depuis des années dont je suis très fier. C'est une communauté particulièrement intégrée au sein de laquelle on trouve des personnes issues de milieux variés. Il y a par exemple cinq mille médecins d'origine libanaise en France mais également des ingénieurs, des professeurs d'université, des intellectuels, des écrivains, des artistes, des hommes d'affaires, des restaurateurs, des artisans, des petits commerçants.... Le peuple français considère le peuple libanais comme un peuple frère et l'a toujours accueilli chaleureusement. Le Liban est un petit pays qui a traversé un grand nombre d'épreuves; des protagonistes étrangers ont tenté de le transformer en un champ de bataille. En dépit de toutes les guerres, de toutes les épreuves, le Liban est resté fidèle à lui-même. Sa personnalité juridique internationale n'a pas été remise en cause durant les années de guerre, son administration n'a jamais cessé de fonctionner, car malgré les clivages politiques, les libanais ont su demeurer viscéralement attachés à leur pays. Le patriotisme, le dialogue, la tolérance, le vivre en commun, l’attachement profond à la liberté, à la démocratie et à la justice, se perpétuent dans le cœur de chaque libanais, où qu'il vive.
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