On ne présente plus Patrick Poivre d'Arvor. Pilier du paysage audiovisuel français, ce grand journaliste a marqué le monde de l'information en imposant un professionnalisme hors pair allié à l'élégance d'un style très personnel. A la fois témoin et messager d'une époque dont il décrypte les codes avec autant de rigueur que de précision, Patrick Poivre d'Arvor est également un homme de lettres maîtrisant l'art de sublimer les mots, invitant le lecteur à la réflexion ou au rêve à travers un univers intimiste. Rencontre exclusive.
Je suis avant tout journaliste et écrivain. Le succès découlant de la médiatisation m'intéresse peu, ce qui compte pour moi est d'essayer de suivre ma route avec droiture. L'écriture occupe une grande place dans ma vie, je suis l'auteur d'une cinquantaine de livres dont le premier, "Les enfants de l'aube", a été rédigé alors que j'étais âgé de dix-sept ans. Deux de mes ouvrages viennent d'être publiés simultanément: "Tenir et se tenir" (Presses de la Renaissance), ainsi que le premier volume d'une collection intitulée "Mots pour mots" (Seuil) créée en collaboration avec mon frère Olivier, mettant en comparaison différents textes, souvent anciens. Il y a notamment un livre dédié aux passions amoureuses des écrivains, un autre consacré à leurs procès... Dans les prochaines éditions, il sera question des rapports que les écrivains entretenaient avec leur mère; on retrouvera également les récits de grands navigateurs. Les thèmes abordés au sein de cette collection seront très variés.
Parallèlement à la rigueur et au professionnalisme qui vous caractérisent, votre style associé à votre personnalité charismatique ont contribué à vous hisser au sommet de la hiérarchie des médias et à faire de vous une célébrité. La cohabitation entre l'homme public exposé aux feux des projecteurs et l'écrivain faisant face à la solitude est-elle aisée ou conflictuelle?
Je dois reconnaître que cette situation n'est pas toujours évidente du fait de la dichotomie qui existe entre ces deux activités. J'ai longtemps considéré le journalisme comme une activité de jour, comme son nom l'indique, la nuit étant plus propice à l'écriture et la lecture. Actuellement, je me consacre de plus en plus à l'écriture. Je me nourris de tout ce que je peux apprendre par le biais de mon métier, il me parait essentiel de garder intacts ma curiosité et mon ouverture d’esprit, sources d'enrichissement de mon oeuvre littéraire. L'écriture me passionne depuis toujours, c'est pourquoi il était naturel que je me lance dans ce type d'activité. Faire de sa passion un véritable métier est une chose extraordinaire et je suis très heureux de pouvoir aller jusqu’au bout de cette passion.
Considérez-vous l'écriture comme un exutoire, et si tel est le cas, pensez-vous que le fait de coucher des mots sur une page blanche soit plus libérateur que de se confier à un interlocuteur?
L'écriture aide beaucoup, elle m'a permis de mieux surmonter certains caps difficiles, qu'ils soient d'ordre privé ou professionnel. Néanmoins, elle ne peut se substituer à une séance de psychanalyse; c'est un art, pas une médecine ou un remède. De plus, je pense que les lecteurs n'ont que faire des états d'âme d'un auteur.
Du fait de votre profession de journaliste, on vous imagine plutôt cartésien et toujours en quête de vérité. D'un autre côté, l'écrivain que vous êtes a besoin de laisser libre cours à son imagination, sa créativité. Votre fibre créatrice s'exprime-t-elle exclusivement dans le domaine littéraire ou bien vous arrive-t-il de vous adonner à l'art par le biais de disciplines comme la peinture ou la sculpture?
Je suis un grand amateur d'art, c'est quelque chose dont j'ai besoin en permanence. Ce domaine m'intéresse, me nourrit, ouvre mes horizons. Par ailleurs, j'ai toujours été fasciné par l'opéra. Je vais prochainement mettre en scène "Carmen" de Bizet, dont les représentations se tiendront en France pendant quelques mois à partir du début du mois de juin 2010.
Quelle place l'art occupe-t-il dans votre vie? Vos goûts sont-ils plutôt classiques, contemporains ou éclectiques? Y a-t-il des artistes ou des oeuvres qui vous émeuvent particulièrement?
De nombreux artistes suscitent mon émotion. Dans le domaine de la peinture, je suis très sensible à l'oeuvre d’Yves Klein pour lequel j'éprouve beaucoup d'admiration, tout comme Kijno ou d'autres figures majeures de l'art contemporain. En fait, tout m'intéresse, je ne demande qu'à faire de nouvelles découvertes. Mes goûts sont classiques, à titre d'exemple je citerais l'exposition consacrée à Turner au Grand Palais, à laquelle je me suis rendu récemment. Deux jours plus tard, je suis allé au Centre Pompidou afin de découvrir l'exposition de Lucian Freud.
Quels sont vos goûts en matière de musique? Préférez-vous écrire dans le silence ou soutenu par une toile de fond musicale?
Comme de nombreux adolescents, lorsque j'ai commencé à écrire, la musique m'accompagnait, mais je ne le recommande à personne car c'est une source de perturbation. On ne peut pas mêler deux émotions, la sienne et celle d'un artiste. Mes goûts sont très éclectiques; hormis l'opéra, j'aime le vieux jazz américain, les belles chansons françaises dites "à texte"…. Je peux également être ému par des styles totalement inattendus qui, à priori, ne sont pas censés me plaire.
Etes-vous sensible au luxe et quel sens a-t-il à vos yeux?
Le luxe, c'est ce que l'on n'a pas. En ce qui me concerne, le véritable luxe est le temps. J'aimerais avoir la possibilité de prendre mon temps.
L'utilisation de l'outil informatique et la généralisation de l'usage d'internet ont profondément modifié le traitement et la diffusion de l'information. Quel rapport entretenez-vous avec ces technologies et pensez-vous qu'elles puissent nuire au code déontologique régissant votre profession du fait des nombreux débordements qu'elles suscitent, notamment une certaine forme de désinformation?
J'emploie ces technologies tout en entretenant un rapport très lointain avec elles. C'est pour moi un outil, pas une fin en soi. Il faut faire preuve de vigilance à leur égard, croiser ses sources, les recouper, afin de ne pas tomber dans la désinformation.
Votre métier est indissociable de l'actualité, il se vit "sur le vif". Cet ancrage dans l'instant présent a-t-il une incidence sur votre perception du temps qui passe? Etes-vous un homme nostalgique?
Effectivement, je suis quelqu'un d'assez nostalgique. Je le reconnais et ne le vis pas comme une tare. Le passé est important, il nous apprend beaucoup sur nous-mêmes et sur l'avenir. J'ai des moments de blues et ne renie pas mon côté mélancolique qui peut laisser place à des phases d'exaltation. De ce point vue, je pense être un vrai romantique.
Vous donnez l'image d'un homme animé par la passion. Dans les sphères professionnelles et privées, vous laissez-vous plus facilement guider par la raison ou la passion?
C'est souvent la passion qui me guide, même si j'essaie de la "raisonner", notamment dans le domaine professionnel.
Vous avez déjà eu l'occasion de visiter le Liban. Quel regard portez-vous sur ce pays et sa culture où la francophonie est encore très présente en dépit de l'influence croissante de la langue anglaise?
J'aime beaucoup le Liban, d'ailleurs je l'ai récemment mis à l'honneur dans le cadre d'une émission de télévision intitulée "Horizons Lointains" diffusée sur Arte, qui a été consacrée à Beyrouth, et dans laquelle des écrivains évoquent leur pays. Je voulais que l'on parle du Liban autrement qu'à travers les attentats et les problèmes politiques de toute nature, comme c'est généralement le cas. J'ai découvert ce pays avant la guerre. Pour les besoins de l'actualité, je m'y suis rendu très souvent en période de conflits ou de troubles, cependant j'ai toujours trouvé que l'air y était doux, dans tous les sens du terme. J'apprécie l'intelligence de ce peuple qui me touche et avec lequel je me sens bien. Le Liban est semblable au Phoenix qui renaît de ses cendres. On y trouve une force de vie très puissante, un incroyable dynamisme et un optimisme omniprésent.
Pensez-vous que la généralisation de l'accès à la culture permette de lutter contre les clivages politiques, sociaux et religieux dans un pays encore déstabilisé par trente ans de guerre civile?
C'est une évidence. La culture véhicule toutes sortes d'émotions. Un poème, quelle que soit la langue dans laquelle il est écrit, conservera son essence et pourra toucher des personnes de différents âges, religions, milieux sociaux... Je considère la culture comme un vecteur absolu de connaissance de l'autre et de rapprochement entre les êtres. La haine trouve souvent ses racines dans l'ignorance, d'où l'importance du savoir.
Patrick Poivre d’Arvor, si vous étiez....
Une émotion: celle que je ressens actuellement
Un désir: voler comme un albatros
Une saison: le printemps
Une couleur: une tonalité entre le mauve et le parme
Une ville: Paris, bien que je ne sois pas très citadin
Un paysage: la Côte de Granit Rose en Bretagne
Un élément naturel: la mer
Un mot de la langue française: tendresse
Un moment de la journée: la tombée de la nuit
Un péché: trop de désirs à la fois
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