Alors que l'espérance de vie ne cesse de croître dans les pays développés, induisant un vieillissement inexorable des populations, les hommes cherchent à exorciser leur peur de la déchéance physique et de la mort. S'il fût un temps où vieillesse rimait avec sagesse, afficher les signes de l'âge apparaît aujourd'hui comme rédhibitoire au sein d'une société faisant l'apologie de la jeunesse. Parallèlement à cette mutation des mentalités, la science ouvre un nouveau chapitre de son histoire en tentant de percer les secrets de la création. Nous entrons dans l'ère de la génétique et de la médecine cellulaire, un monde fascinant qui permettra un jour de lire en nous comme dans un livre ouvert. Les médias, conscients de l'engouement du public pour les thèmes se rapportant à la lutte contre le vieillissement, se font régulièrement l'écho des dernières avancées scientifiques, passant parfois sous silence certains dangers dont chacun devrait être informé. Une révolution médicale est en train de se mettre en place, mais encore faudra-t-il faire preuve de la plus grande rigueur associée à une extrême vigilance dans l'emploi des connaissances ayant trait à ce qui détermine les fondements de la vie. En ouvrant cette boîte de Pandore, nous pourrions nous acheminer vers l'uniformisation universelle de l'humanité dépeinte par l'ethnologue Claude Levi-Strauss, récemment disparu, qui, en dépit du regard bienveillant et optimiste qu'il portait sur ses contemporains, ne cachait pas ses préoccupations par rapport à l'avenir.
Afin de faire le point sur les techniques de réjuvénation cellulaire et leurs applications, j'ai rencontré le Docteur Claude Dalle, spécialiste de la médecine anti-âge.
Docteur Dalle, que sont précisément les cellules souches et quelle est leur fonction?
Découvertes il y a une vingtaine d'années, ce sont les cellules de la régénération par excellence. Omniprésentes dans le corps, elles proviennent de la moelle osseuse, du plasma, de la matière adipeuse. Elles servent à régénérer une partie de nos cellules lorsque leur stock devient insuffisant. Ce sont des cellules pluripotentes car elles offrent de multiples possibilités fonctionnelles. Les scientifiques commencent à définir les facteurs de croissance engendrant les mutations qui feront d'elles des cellules de coeur, de peau, d'os, etc.... Malheureusement, elles vieillissent avec nous. Lorsqu'elles proviennent d'un bébé, ces cellules conservent toutes leurs propriétés. En revanche, chez une personne âgée, elles sont plus rares; de plus, elles sont soumises au poids des ans au même titre que nos autres cellules et connaissent une érosion au niveau des télomères (les extrémités des chromosomes). Avec le temps, leurs capacités sont amoindries et le risque de cancérisation est accru. On s'est par exemple rendu compte que lors d'un cancer du sein, certaines catégories de chimiothérapies tuaient les cellules atteintes par la maladie mais pas les cellules souches cancéreuses susceptibles de provoquer des récidives. L'objectif à atteindre en matière de traitement du cancer est de cibler les cellules souches cancéreuses demeurant actuellement résistantes aux thérapies curatives. Un des principaux dangers inhérent à la manipulation des cellules souches est l'inoculation de cellules précancéreuses parallèlement aux cellules saines, car il n'existe encore aucune technique permettant d'effectuer une sélection destinée à écarter les cellules portant en elles des facteurs de développement tumoral.
Quelles affections les cellules souches sont-elles en mesure de traiter?
Il existe actuellement peu d'applications. Le diabète sera vraisemblablement l'une des premières maladies qui pourra être traitée par le biais des cellules souches, et cela dans un proche avenir. En injectant ces cellules à des patients, on arrive actuellement à recréer la matière constituant le pancréas; malheureusement, les résultats obtenus ne sont pas durables, ils se limitent à une période oscillant entre un et deux ans selon les sujets. Il y a également beaucoup d'espoir ce qui concerne la maladie de Parkinson.
Les cellules souches peuvent-elles être employées dans le cadre de la médecine préventive ou bien leur usage est-il exclusivement curatif?
Dans un premier temps, les applications seront uniquement curatives. L'avenir ouvrira certainement des perspectives révolutionnaires sur le plan préventif: il sera alors possible de détecter les anomalies génétiques et de les corriger. L'état actuel des connaissances ne nous permet pas de savoir dans combien de temps de telles techniques verront le jour, mais il nous faudra encore patienter car ce ne sera pas dans un proche avenir.
Comment se déroule l'administration de cellules souches à un patient? Quels sont les risques et les contre-indications de ces thérapies?
Le médecin prélève des cellules souches (dans le sang, la moelle osseuse, la graisse corporelle...). Il est alors possible de les trier, de les mettre en culture afin qu'elles se multiplient, puis de les réinjecter dans l'organisme. Pour citer l'exemple des essais concernant la maladie de Parkinson, on réinjecte les cellules souches dans la moelle afin qu'elles circulent dans le liquide céphalo-rachidien et atteignent les zones cibles exerçant une action sur cette maladie. Lorsqu'un patient présente une inflammation à un endroit précis, les cellules souches vont se diriger vers ce secteur. Par contre, dans l'éventualité où un malade serait victime de multiples inflammations disséminées à différents endroits, l'action sera moindre. A titre indicatif, chez un patient souffrant uniquement de la maladie de Parkinson, les cellules souches réinjectées se dirigeront en priorité vers les zones atteintes. Dans le cas d'un patient parkinsonien ayant, par exemple, une infection de la vessie, les cellules souches seront complètement déroutées et n'atteindront pas leur cible initiale car elles se répartiront de façon anarchique entre les différentes zones malades, ce qui bloquera leur action. Idéalement, il faudrait évaluer l'état de santé global du malade, notamment s'assurer qu'il n'a pas de pré-cancer, ce qui est loin d'être évident. Il faut savoir que le développement d'un cancer constitue le risque majeur induit par les thérapies à base de cellules souches. Lorsque les médias évoquent les cellules souches et leurs extraordinaires propriétés, ils ont tendance à passer sous silence ce facteur risque essentiel.
Selon vous, sera-t-il possible, dans les années à venir, de fabriquer de la peau, des dents, des muqueuses, voire même des organes à partir des cellules souches?
Les cellules souches pourront régénérer des organes dans un avenir relativement proche (notamment le coeur, la peau, la cornée) et, dans un futur nettement plus éloigné, en recréer intégralement.
Les thérapies cellulaires peuvent-elles améliorer le confort de vie des patients, notamment les plus âgés qui se trouvent confrontés à de nombreuses déficiences? Sont-elles en mesure de nous aider à vivre plus longtemps?
En l'état actuel des connaissances et de l'avancée des recherches scientifiques, ces thérapies n'apporteront pas de bénéfices aux patients les plus âgés. Lorsque les lésions sont installées depuis longtemps, les dégâts sont tels qu'il n'est pas possible d'obtenir une régénération. On pourra obtenir des résultats intéressants chez des malades n'ayant pas dépassé les premiers stades d’une affection; ce sera le cas, par exemple, d'un patient venant de faire un infarctus ou présentant les premiers signes de la maladie de Parkinson.
Lorsque la science parviendra à combiner la thérapie génique avec les cellules souches, il sera possible d'améliorer l'espérance de vie, mais ce n'est pas encore à l'ordre du jour même si les avancées de la recherche sont indéniables.
Que pensez-vous des parents qui font congeler le cordon ombilical de leur bébé afin d'en extraire des cellules souches qui pourraient être utilisées dans un but thérapeutique? Conseillez-vous ces techniques?
Mon opinion est nuancée. Ce principe est intéressant car les cellules souches sont pluripotentes, le champ d'application de leur pouvoir régénérant est très vaste. D'un autre côté, elles portent en elles des gènes erronés susceptibles de provoquer certains dégâts dont il sera difficile d'évaluer l'étendue en raison de notre méconnaissance en matière génétique. Les thérapies employant les cellules souches à bon escient devront être en mesure de leur octroyer une réelle potentialité, de bloquer la télomérase (une enzyme impliquée dans le vieillissement cellulaire qui joue un rôle déterminant dans la cancérisation des cellules) et de corriger les gènes afin d'éliminer, ou du moins bloquer, l'expression des "mauvais" gènes. A ce moment, nous obtiendrons des cellules dont les propriétés seront exceptionnelles. En l'état actuel de nos connaissances, faire congeler le cordon ombilical d'un nouveau-né me parait superflu dans le sens où cela n'apportera pas de réels bénéfices dans l'immédiat si les parents ou l'enfant lui-même se trouvaient exposés à une maladie. Le jour où la science aura percé le mystère des cellules souches, il est fort probable qu'il ne sera plus nécessaire d'employer le sang du cordon (cette méthode est interdite en milieu hospitalier, seule des sociétés privées la pratiquent).
Dans certains pays d'Asie, notamment en Chine et en Thaïlande, on trouve un nombre croissant de cliniques pratiquant des thérapies s'appuyant sur le prélèvement de cellules souches extraites de la moelle osseuse. Ces méthodes, très controversées dans le milieu médical en raison des dangers qu'elles peuvent induire (y compris un risque vital), sont censées soigner, ou du moins améliorer, l'état de santé de patients atteints maladies particulièrement graves comme le cancer ou la maladie d'Alzheimer. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces thérapies et pensez-vous qu'elles soient un jour appliquées en France?
Ce sont des thérapies très dangereuses, d'autant plus qu'elles n'améliorent pas l'état des patients de façon significative et peuvent même occasionner une aggravation de leurs troubles. A l'heure actuelle, il n'est pas possible de soigner des malades du cancer, du SIDA ou la maladie d'Alzheimer avec les cellules souches. Ces traitements sont effectués "à l'aveugle" (ils ne sont pas contrôlés) en se basant sur un fait erroné, à savoir que les cellules souches sont saines; or ce n'est pas le cas car, comme nous l'avons vu précédemment, certaines d'entre elles sont cancéreuses (et cela est d'autant plus vrai chez les personnes ayant déjà eu un cancer).
Outre le domaine thérapeutique, les cellules souches sont également utilisées dans le cadre de soins esthétiques. Quelles sont les techniques employées actuellement, que peut-on en attendre et à quel type de patients s'adressent-elles?
Il existe deux méthodes: on peut effectuer une ponction osseuse pour prélever les cellules souches dans la moelle (ou procéder à un prélèvement de graisse), extraire les facteurs de croissance des plaquettes et les réinjecter. La seconde méthode est la voie sanguine. On prélève du sang au patient, ensuite on le centrifuge pour récupérer les plaquettes que l'on "éclate" afin d'en récupérer les facteurs de croissance qui seront réinjectés. Cette méthode présente l'avantage de moins solliciter les cellules souches, elle est donc plus sûre mais stimule les cellules cutanées de façon importante.
Une méthode que je préconise consiste à prélever de la graisse abdominale (riche en cellules souches) et à la réinjecter dans le visage avec des facteurs de croissance provenant du PRP (Platelet Rich Plasma). Du fait de cette combinaison naturelle et totalement autologue, les cellules souches de la graisse sont stimulées, la matière adipeuse se régénère mieux et présente une meilleure cohésion. Les résultats esthétiques sont particulièrement satisfaisants. Des essais sont en cours afin d'élaborer une association de PRP et d'acide hyaluronique; les résultats sont très attendus.
Les effets de ces techniques se limitant au niveau local, il est indispensable de maintenir un bon équilibre hormonal associé à une certaine hygiène de vie (alimentation saine, activité physique, contrôle du stress...) afin d'obtenir des résultats satisfaisants et de les maintenir dans le temps.
Les patients peuvent bénéficier de ces traitements à partir de l'âge de 40-45 ans, en fonction de leur type de peau (variable selon le mode de vie - la consommation d'alcool et de tabac joue un rôle particulièrement négatif, tout comme les expositions solaires - d’autres facteurs interviennent également comme l'hérédité, l'équilibre hormonal...).
Combien de séances de PRP sont-elles nécessaires en moyenne pour obtenir un résultat visible et à quel rythme doit-on les renouveler? Quel budget approximatif faut-il prévoir pour bénéficier de ces traitements?
Tout dépend de l'âge du patient, du terrain hormonal... Pour les femmes ménopausées sous THS (Traitement Hormonal Substitutif) dont l'hygiène de vie est soignée, deux à trois séances par an sont amplement suffisantes. Une séance dure une heure et son coût oscille entre 400 et 500 Euros. Les résultats sont visibles immédiatement.
Est-il possible de procéder au PRP sur un visage ayant déjà bénéficié d'injections d'acide hyaluronique et/ou de toxine botulique?
Absolument, on obtient de très bons résultats en effectuant du PRP sur des patients dont le visage a été remodelé avec des injections d'acide hyaluroniques ou du fat grafting. L'association de PRP et de toxine botulique améliore l'aspect de la peau mais ne modifie pas le produit injecté, en l'occurrence le Botox.
Quelle est votre opinion par rapport aux cosmétiques censés stimuler les cellules souches? (notamment une crème de fabrication russe qui a beaucoup fait parler d'elle et dont la commercialisation a été interdite en France au nom du principe de précaution).
Les crèmes de beauté élaborées dans le but d'exercer une action sur les cellules souches sont certainement peu dosées, dans ce cas on ne peut pas parler d'un quelconque danger.
Les injections de facteurs de croissance peuvent-elles provoquer l'apparition de tumeurs ou encore stimuler le développement de tumeurs latentes?
Je le pense, c'est pourquoi je refuse d'appliquer ce type de méthodes sur des patients ayant déjà eu un cancer. Un interrogatoire poussé ainsi qu'un bilan biologique et un screening de la carte génétique me paraissent indispensables avant d'entreprendre toute démarche nécessitant l'emploi de facteurs de croissance.
Le renouvellement cellulaire induit par les cellules souches peut-il s'appliquer au traitement de la calvitie et des chevelures clairsemées? Est-il possible de réactiver des bulbes capillaires "en sommeil" ou morts?
Cela ne se fait pas beaucoup en Europe, mais au Japon il existe une technique de pointe qui consiste à employer les nombreuses cellules souches situées dans le bulbe capillaire pour générer trois ou quatre cheveux dans un même bulbe, ce qui rend la chevelure plus dense. Ce n'est cependant pas un traitement de la calvitie car lorsque les bulbes sont morts, on ne peut plus intervenir.
Certaines cliniques privées pratiquent l'injection de cellules souches d'origine animale (issues d'agneaux) dans un but esthétique. Les bénéfices sont-ils les mêmes qu'avec les cellules souches humaines et existe-t-il un risque de rejet?
Je suis formellement opposé à ces méthodes mercantiles qui ont pour conséquence d'inoculer à des humains des gènes d'origine animale, donc totalement étrangers à leur corps; nul ne peut connaître les conséquences de tels actes dans l'immédiat et au cours des années suivant la procédure.
Pensez-vous que les thérapies cellulaires révolutionneront le monde médical du XXIème siècle? Quels débordements craignez-vous sur le plan éthique?
Une révolution est d'ores et déjà en marche, bien qu'elle en soit encore à ses balbutiements si l'on prend en compte les multiples perspectives qui s'offriront à la science. Nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère, celle de la médecine prédictive que je commence à pratiquer; la prévention va certainement s'effectuer de façon toujours plus précoce par le biais d'un screening génétique des bébés, de ce fait l'apparition des maladies sera retardée. Sur un plan éthique, nous serons confrontés à un risque d'eugénisme qu'il sera difficile d'éviter. Cette nouvelle médecine, vecteur de nombreux bienfaits sur le plan de la santé, du confort de vie et de son extension, pourrait, à terme, mettre fin à ce qui fait la richesse de l'humanité: sa diversité et par voie de conséquence, son génie, fruit du mélange et de la mixité.
NDLR: Au moment où cet article a été rédigé, un communiqué officiel a annoncé que deux enfants atteints d'adrénoleucodystrophie, une maladie rare du cerveau, ont été traités avec succès grâce à une thérapie génique faisant appel aux cellules souches. Le mérite en revient au Professeur Patrick Aubourg, directeur d'une unité de recherche à l'Inserm et médecin à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris.
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